Page:Crépet - Charles Baudelaire 1906.djvu/75

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un de ces petits théâtres qui, dès 1840, annonçaient les cafés-concerts, n’avait, à part sa race, rien de remarquable : ni le talent, ni la beauté, ni l’esprit, ni le cœur.

Théodore de Banville l’a dépeinte : « Une fille de couleur d’une très haute taille, qui portait bien sa brune tête, ingénue et superbe, couronnée d’une chevelure violemment crespelée, et dont la démarche de reine, pleine d’une grâce farouche, avait quelque chose à la fois de divin et de bestial. » Mais il faut se rappeler quelle généreuse partialité Banville apportait à louer ses amis et les amies de ses amis. MM. Buisson et Prarond font de la « Vénus noire », un tableau beaucoup moins enchanteur[1].

  1. « Avez-vous connu Jeanne Duval ? — Oui, j’ai connu Jeanne. Elle venait au logis du quai de Béthune, se casait dans un fauteuil bas, près de la cheminée. Elle me faisait l’effet d’une fille très passive. Je la traitais avec beaucoup d’égards, et j’étais, me disait Baudelaire, le seul de ses amis qu’elle pût souffrir… Voici, dans mes souvenirs, le portrait de Jeanne : mulâtresse, pas très noire, pas très belle, cheveux noirs peu crépus, poitrine assez plate, de taille assez grande, marchant mal. Baudelaire lui dictait quelquefois ses vers. » (Notes de M. Prarond.)

    — « Elle avait les pommettes saillantes, le teint jaune et mat, les lèvres rouges et les cheveux abondants et ondulés jusqu’à la frontière du crépu. Je retrouve son type dans une tête qui revient souvent dans les eaux-fortes du Tiépolo. » (Notes de M. Buisson.) Il est à noter que, bien qu’il ait chanté la beauté de sa maîtresse dans maintes pièces des Fleurs du mal, Baudelaire, dans les nombreux dessins qu’il fit d’elle, n’en donne qu’une idée assez peu flatteuse. Quant à l’estime où il tenait l’esprit de sa était occupée. Nous arrivons Baudelaire et moi et nous nous casons en face. Baudelaire avait l’œil du chat, le nez du chien et l’ouïe du sauvage. Lança-t-il un rayon, un éclair en même temps qu’un coup d’œil sur la petite loge, je ne sais, mais nous entendîmes ou plutôt il entendit le petit coup sec d’une porte qui se ferme, et, leste comme un tigre, bondit en m’entraînant à sa suite. Nous arrivâmes trop tard dans le couloir du rez-de-chaussée. Baudelaire se contint et avec une politesse exquise obtint de l’ouvreuse qui nous connaissait l’ouverture de la loge. « Ses narines frémissaient », comme eût dit La Monnaye. — Jeanne était là ! s’écria-t-il avec un vrai accent de douloureuse jalousie. Je dis vrai. Pourquoi aurait-il joué la comédie ? nous étions seuls, mais nous étions deux et si Baudelaire a quelquefois posé devant lui-même, cela ne lui est jamais arrivé devant moi. »