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SOUVENIRS

d’états que le gouvernement du Régent a trouvé le plus de sévérité. S’il avait succombé à la tentation d’hériter de la couronne de France, il était bien prévenu d’une opposition vigilante et formidable, à Grenoble, à Toulouse et principalement à Rennes, où le parlement aurait fait proclamer l’aîné des petits-fils de Louis XIV, en dépit des renonciations et au mépris des stipulations d’Utrecht, en vertu du droit de primogéniture et la loi salique à la main. La fidélité du Régent n’a pas été si généreuse et si méritoire que nous l’ont dit ses historiographes ; mais voilà que je fais de la politique, en oubliant que je ne suis qu’une pensionnaire ; et comme Louis XIV est encore vivant, ce n’est pas le moment de vous parler de la minorité de son petit-fils et de la régence de son neveu.

Vers le mois de novembre 1715, ma tante me dit avec un air de précaution qui me donna matière à penser, que j’allais aller passer l’hiver à Paris, mais que je reviendrais à l’abbaye lorsque j’aurais fait connaissance avec ma grand’mère de Froulay. Je pleurai beaucoup en nous séparant, c’était bien la moindre chose ; et je partis en chaise de poste avec une femme de chambre et deux postillons que mon père avait envoyés de Paris pour m’escorter. Nous arrivâmes après six jours de voyage, et l’on me fit descendre à l’hôtel de Froulay, rue Saint-Dominique, où je trouvai mon père que je n’avais vu de ma vie et qui me reçut comme si nous nous étions quittés la veille. Mon père avait la figure la plus aimable, il était d’une aménité facile et d’une grace charmante. Il me dit qu’il allait me conduire