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SOUVENIRS

soixante ans, et qui venait pour se divertir avec nous, disait-elle[1]. Elle ne voulut manger autre chose que des rôties au vin d’Espagne, une jatte de caille-bottes au jasmin, trois ou quatre assiettes de compote, des massepains, des macarons, des jubas, des darioles, et pour couronner son œuvre de collation, cinq ou six grosses poires. Ensuite, elle ordonna qu’on fit défiler tous les chiens devant elle, en manière de revue. — Mon auguste Princesse, en voici un qui vous va compter le nombre de l’année, le quantième du mois et l’heure du jour, lui dit l’homme aux chiens. — C’est un miraculeux animal, et vous me le vendrez, par ma foi ! disait-elle, ou je vous ferai chasser de Versailles ! — Mon auguste Princesse, il dit aussi l’âge des femmes… — Ah ! la vilaine bête !… et ce disant, elle se mit à donner des coups de pied au chien savant, qui s’en alla se cacher derrière les autres, et ne voulut jamais reparaître. — Qu’on le chasse d’ici ! qu’on l’emmène et qu’on l’enferme !… c’est un saligot qui va faire des ordures sur les tapis du Roi !… Je ne l’ai revue de ma vie, la Duchesse d’Elbœuf. Toutes nos parentes de ce côté des Parabère étaient mal famées, ce qui faisait que mes tantes et ma grand’mère n’entretenaient aucune relation familière avec elles. Cette Mme d’Elbœuf est morte d’une indigestion de

  1. Françoise de Montaut de Bénac de Navailles, veuve de Charles de Lorraine, Duc d’Elbœuf. Sa mère, la sévère et célèbre Maréchale de Navailles, était la tante de mon père, et s’appelait Suzanne de Maumaz-Baudéan-l’arabère et Neuillant. La fille était à peu près aussi laide et aussi ridicule qu’il est possible de l’être.
    (Note de l’Auteur.)