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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

même un seul bateau pêcheur dans le petit havre du Mont-Saint-Michel. Il en résulte que les habitans de l’abbaye et ceux de leurs vassaux qu’on appelle les Montois, ne sauraient communiquer avec la terre ferme que pendant la moitié de leur vie, et qu’ils se trouvent le reste du temps en état de réclusion forcée, ce qui se reproduit infailliblement lorsque la nuit arrive, ou pour peu qu’il y ait du brouillard.

La petite ville du Mont-Saint-Michel ne se compose que d’une seule rue qui gravit en serpentant sur le flanc méridional de la montagne, et qui conduit par des marches entaillées dans le roc, jusqu’au portique de l’Abbaye, d’où l’on aperçoit une seconde ligne de fortifications supérieures, admirablement édifiées en grands blocs de granit. Nous y fûmes reçues par le Prieur conventuel, à défaut d’Abbé régulier, parce que le siège de cette abbaye royale était ce qu’on appelle en commande. Énorme abus, qui consiste à disposer de ce qui n’est pas à soi ! L’Abbé-Commandataire du Mont-Saint-Michel était alors je ne sais quel Aumônier du Roi, qui touchait sine cura les 28 000 livres de rente appartenant à la Manse abbatiale ; aussi la conversation roula-t-elle presque toujours sur le même sujet pendant les 72 heures de notre hébergement à l’hospice des pèlerins, et ce ne fut pas sans gémissemens réciproques entre l’Abbesse de Montivilliers et ses congréganistes.

Non loin de l’hospice où nous étions logés, se trouvait la prison d’État, qui ne renfermait que