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SOUVENIRS

la mandoline en se pinçant la bouche et jouant des prunelles. Il avait la prétention d’avoir composé la musique et les paroles d’un opéra tragique, mais par habitude il ne fabriquait que des pièces fugitives, et c’était de la poésie, d’autant plus légère qu’il n’y avait rien dedans.

Voilà M. de Richelieu qui s’amuse à faire courir le bruit d’un mariage entre Mme de Chaulnes et M. de Giac qui ne se connaissaient point du tout. C’est un bruit qui se répand dans tout Paris on leur en parle ; Mme de Chaulnes se fait désigner l’équipage, la loge et la personne de M. de Giac, et vice versa de la part du Conseiller pour la Duchesse ; on s’observe, on s’approche, on fait connaissance, on s’admire, et finalement on s’épouse. Mme de Chaulnes en a donné deux cent mille livres de rente à son second mari, et voilà M. de Richelieu bien récompensé ! — Je dois vous annoncer, lui vint-elle dire, au pavillon d’Hanovre, en prenant des airs de mineure, je viens vous annoncer que je vais me donner un tuteur. — Madame, lui répondit-il en s’inclinant jusqu’à terre (ce qui préludait toujours à quelque perfidie), j’aurais cru que vous aviez perdu le droit de le choisir vous-même ; et quelle est donc, s’il vous plaît, cette heureuse et prudente personne qui va diriger votre minorité ? Elle répondit en minaudant que c’était un jeune magistrat qui avait l’honneur d’appartenir aux Lefèvre de Caumartin mais elle ne voulut ou n’osa jamais le nommer, ce qui priva M. de Richelieu du plaisir de lui répondre qu’on n’était plus jeune à cinquante-deux ans, parce que c’était précisément