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SOUVENIRS

toutes les autorités collégiales viennent se ranger autour des portières dorées et blasonnées du vieux Seigneur, qui s’opiniâtre à laisser les deux glaces baissées par civilité. On a fait sortir M. le Comte de Chinon de sa classe de rhétorique, et quand on a fait établir dans sa petite chambre un grand fauteuil en point de Bergamme, avec un bout de vieux tapis pour mettre sous les pieds du Maréchal, on conduit processionnellement le vainqueur de Mahon jusqu’à la porte de cette chambre, où l’on n’avait pas eu la précaution de faire allumer du feu, et puis chacun se retire avec une discrétion respectueuse. Le jeune homme a rapporté qu’après cinq ou six minutes de conversation, son grand-père lui avait demandé, avec un air de sollicitude et de bonhomie prévoyante : Est-ce que vous avez encore de l’argent ? – Ah ! certainement, Monsieur le Maréchal, lui répondit le rhétoricien d’un air de triomphe et avec tout l’amour-propre qui peut résulter, pour un écolier soigneux et rangé, d’une sobriété parfaite et d’un amour de l’économie pleinement satisfait. Il ajouta qu’il n’avait pas encore eu besoin de toucher à une bourse de cinquante louis que le Maréchal lui avait envoyée le jour de sa fête, il y avait de cela cinq ou six mois ! Voyons donc ça, s’il vous plaît ? lui répliqua son grand-père, et tout aussitôt qu’il eut les cinquante louis entre les mains, le vieux Maréchal se lève, il ouvre une fenêtre, il regarde et se met à crier : — Ditt’-donc, m’sieux l’balayeux ! (vous saurez que le Maréchal de Richelieu parlait toujours comme un faubourgeois de Paris, suivant