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SOUVENIRS

Il m’a conté que le Roi lui disait un jour : — Monsieur le Gouverneur de Septimanie, d’Aquitaine et de Novempopulanie, parlez-moi d’une chose : est-ce qu’on récolte du vin potable en Bourdelais ?

— Sire, il y a des crûs de ce pays-là dont le vin n’est pas mauvais.

— Mais qu’est-ce à dire ?

— Ils ont ce qu’ils appellent du blanc de Sauterne, qui ne vaut pas celui de Montrachet, ni ceux des petits coteaux bourguignons, à beaucoup près, mais qui n’est pourtant pas de la petite bière. Il y a aussi un certain vin de Grave qui sent la pierre à fusil comme une vieille carabine, et qui ressemble au vin de la Moselle, mais il se garde mieux. Ils ont encore, dans le Médoc et le Bazadois, deux ou trois espèces de vins rouges dont les gens de Bordeaux font des gasconades à mourir de rire. Ce serait la meilleure boisson de la terre et du nectar pour la table des dieux, à les entendre, et ce n’est pourtant pas là du vin de Haute-Bourgogne, ou du vin du Rhône, assurément ! Ça n’est pas bien généreux ni bien vigoureux, mais il y a du bouquet pas mal, et puis je ne sais quelle sorte de mordant sombre et sournois qui n’est pas désagréable. Au reste, on en pourrait boire autant qu’on voudrait ; il endort son monde, et puis voilà tout. C’est là ce que j’y trouve de mieux.

Pour satisfaire à la juste curiosité du Roi, M. de Richelieu fit venir du vin de Château-Lafitte à Versailles, où S. Majesté le trouva passable. On n’aurait jamais imaginé jusque-là qu’on pût faire donner du vin de Bordeaux à ses convives, à moins que ce