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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

droit dans un horizon si borné. Enfin depuis quarante ans on fait bouillir l’eau que je bois et l’on y fait dissoudre un peu de sucre candi au capillaire ; voilà toute la recherche qui me soit personnelle. Vous en conclurez, si vous voulez bien, que ma sensualité n’était pour rien dans la perfection de mes soupers. C’était une affaire de bon procédé, de politesse élégante et soigneuse, et peut-être aussi d’amour-propre, attendu que les personnes avec qui je me trouvais naturellement en relation familière étaient dans les habitudes de la délicatesse la plus exquise. Au reste, il en était alors de la gastronomie comme de la dévotion ; les personnes qui s’en occupaient le mieux n’en parlaient jamais.

Je serais bien fâchée que vous devinssiez ce qu’on appelle un gourmand, mais je ne vous exhorte pas à pratiquer la mortification dans le régime alimentaire. Vous n’êtes pas destiné pour le cloître, et vous vivrez dans le plus grand monde. Je ne vous dirai pas, comme les Vaudois et les Albigeois, que le lait et le miel de la terre sont pour les saints ; mais je vous dirai sérieusement avec l’apôtre : — Usez de toute chose de la terre avec prudence, avec innocence, à la seule condition d’en pouvoir rendre grâce à Dieu qui les a créées et qui vous les a données pour en user. Telle est la maxime de la Compagnie de Jésus relativement aux gens du monde, et rien n’est plus sage. La régularité n’est pas la rigidité, mon Enfant ; l’Église ne vous demande que d’être exact et soumis. La religion de l’Homme-Dieu n’a rien d’insociable : l’exigente austérité prônée par les jansénistes ne saurait être et n’a jamais été le catholicisme bien entendu.