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SOUVENIRS

et l’infériorité de sa position. J’avais eu l’idée de le renvoyer aux kalendes grecques avec cette commission d’une bourgeoise et ses informations sur un laquais à qui je n’avais jamais dit quatre paroles et qu’on avait renvoyé sans que je me souvinsse à quel propos ; mais sa physionomie m’intéressa : — Attendez, lui dis-je ; et je fis appeler Dupont, dont les réponses ne furent pas autrement défavorables à ce domestique. C’était moi qui avais ordonné de le casser aux gages, parce qu’il était protestant, disait-il, et qu’il ne voulait pas assister, dans ma chapelle, à la prière du soir.

— Je suis aussi… je suis protestant, répondit ce jeune homme avec un air de douceur et de mélancolie.

— En êtes-vous bien sûr ? lui dis-je, et nous voilà faisant de la controverse à qui mieux mieux. On vint m’annoncer Mgr le Nonce Apostolique.

— Arrivez donc, mon filleul, et venez m’aider à triompher d’un calviniste. Je fais asseoir le mandataire de Mme Dupin ; nous parlons de l’Évêque de Genève et de Mme de Solar, du château de Chenonceaux, de la Suisse, de Voltaire ; enfin, je trouve à ce M. Rousseau beaucoup d’esprit, le cœur chaud, du savoir et de la candeur, malgré qu’on en dise. Je l’assurai que je le reverrais avec plaisir, et je me levai pour le saluer en partant, ce qu’il n’a jamais oublié. Il m’a dit cent fois que c’était un encouragement dont il avait eu besoin pour oser se représenter dans mon salon, parmi des Altesses et des Illustrissimes. Il est venu me voir environ tous les huit jours, à peu près pendant quatre ans. Comme