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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

il était persuadé de ma véritable affection pour lui, il écoutait de moi les vérités les plus sévères, et c’était sans en être irrité ni fâché. Dans les derniers temps de son séjour à Paris, je faisais fermer ma porte aussitôt qu’il était entré chez moi. Je le grondais, je le faisais pleurer, et mes reproches portaient principalement sur ce qu’il était venu me faire de fausses confidences. Il y avait plus d’illusions dans sa tête que de manque de véracité dans son caractère ; voilà ce que j’ai reconnu plus tard et ce qui m’a fait regretter de n’avoir pas été plus indulgente pour lui. Il n’avait conservé d’amis que le soleil ; mais au plus fort de sa misanthropie, de sa misère et des privations qui suivaient sa pauvreté, c’était à moi…

Mais voilà que j’en pleure et que j’en tremble ! j’allais écrire étourdiment ce que je n’ai jamais voulu dire à personne. La confiance de Rousseau ne sera pas trompée, même après sa mort ; les mystères de son amour-propre et les petits secrets de notre amitié resteront ensevelis avec moi.

Je reviendrai successivement sur tout ce qui se rapporte à ce pauvre Jean-Jacques, mais pour ne pas oublier un détail infime et bien misérable, en vérité, qui me revient à l’esprit en pensant à Thérèse Levasseur, je vous dirai qu’au plus fort de la sauvagerie de son homme (elle ne savait parler qu’en femme de la halle), elle ne manquait pas de venir chez moi tous les samedis pour y prendre quatre grosses poulardes du Mans, dont je faisais la rente hebdomadaire à M. Rousseau, qui préférait cette sorte de comestible à toute autre. Son petit ménage en aurait eu pour toute la semaine, et c’était