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Page:Créquy - Souvenirs, tome 4.djvu/62

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SOUVENIRS

requérir le chirurgien de l’abbaye pour venir procéder à l’ouverture du corps, afin qu’il ne manquât rien à la perfection de son procès-verbal. Il n’était pas mort et mourut sous le scalpel. Il y avait toujours eu quelque chose de cela dans la physionomie de ce malheureux homme, dans ses regards sinistres et dans sa voix sourdement lamentable. Quant à la demoiselle Camargot, danseuse de l’Opéra, je vous dirai qu’on avait prodigieusement parlé d’elle à propos de Mme du Boccage, à qui cette fille avait fait une rude impertinence en allant s’asseoir à côté d’elle, à l’Académie française, un jour de la Saint-Louis, où l’on espérait voir arriver le Cardinal Passionnéi, qui n’y vint pas, attendu qu’il était mort le matin. La situation de Mme du Boccage était si pénible, elle en parut si troublée, et le scandale en fut si grand que M. le Maréchal de Bellisle alla lui donner la main pour la conduire (à défaut d’autres places) au fauteuil vacant de l’Évêque de Senlis, où cette dame, après force révérences, eut l’insigne honneur de siéger parmi les quarante immortels, entre MM. de Nivernais et Bitaubé. Elle en parlait toujours avec un air d’humilité bienséante et de reconnaissance infinie pour MM. les Académiciens. Les Nouvelles à la main ont assez parlé de cette aventure et de la demoiselle Camargot, qui, du reste, n’en fut pas moins embarrassée que Mme du Boccage et ne s’en consola jamais. Au bout de quelques mois elle fut obligée de quitter le théâtre, où elle ne pouvait plus se montrer sans être sifflée. On a toujours parlé de Mlle Camargot comme étant la première personne qui se soit avisée de porter des souliers