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SOUVENIRS

Lorsque M. de Voltaire est revenu de Berlin, ayant été Chambellan du grand Frédéric et Chevalier de son Aigle-Rouge, il a voulu devenir Seigneur de paroisse, et, suivant son droit seigneurial, il a fait peindre ses armoiries sur deux lîtres blanches en quarante-huit places, à l’extérieur et l’intérieur de son église de Ferney, sans préjudice au pourtour de son colombier féodal, ainsi qu’à la barrière de son audience. Sa terre de Ferney n’avait que les droits de moyenne justice et de simple coutume ; mais il se jugeait en grande situation nobiliaire ; et le voilà qui s’avise de nous écrire inopinément à M. de Richelieu, mon neveu du Châtelet et moi, pour nous prier de faire ériger sa terre en marquisat.


« La faveur en question ferait la gloire et le bonheur de ma triste vie, Madame ; vous connaissez les tribulations qui m’accablent et les calomnies qui me poursuivent. Je ne sais plus s’il me sera possible de me montrer dans les rues de Genève, où j’aurais besoin d’aller pour consulter M. Tronchin sur ma santé ! M. Rousseau y a suscité contre moi le zèle de plusieurs magistrats fanatiques et d’un grand nombre de farouches citoyens, en leur disant qu’ils ne devaient pas souffrir, malgré la loi, qu’un catholique eût l’air de s’immiscer dans leurs affaires et de s’impatroniser sur leur territoire. Je ne vous parlerai pas des calomnies dont il me charge auprès de Monseigneur le prince de Conti, de Madame la Duchesse de Luxembourg, auprès de vous peut-être, Madame, et c’est pourquoi j’en appelle à vos bontés pour me dédommager de sa noire ingratitude, pour effacer la trace de toutes les persécutions qu’il m’a suscitées depuis quatre années. Voilà, Madame, où m’a conduit ma bienveillance pour