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SOUVENIRS

firmation, vous n’y pensez pas, lui fis-je observer. — Ma tante, reprit-il avec un air d’amertume et de mépris douloureux, est-ce que le Duc de Chartres n’a pas à sa disposition les deux mains consacrées et sacriléges d’un évêque ?… Après quoi, cette horrible personne, car Lauzun n’avait pu démêler si c’était un homme ou une femme, se mit à genoux devant la table, en disant tendrement à son crapaud : — Saint Ange, mon cher Ange, mon bel Ange, l’Enfer triomphera-t-il pour nous ? Michel dénouera-t-il ce que Satan a lié ? Oyez-moi, oyez-moi, oyez-moi ! L’animal fit alors des évolutions tellement brusques que l’eau de la coupe en jaillit jusque sur le Duc de Chartres, qui devint blême et qui s’essuya le visage. Ce fut pour lors que les évocations commencèrent, et qu’il fut prescrit à toutes les personnes présentes de se mettre à genoux, ce que M. de Lauzun refusa pour son compte, en disant qu’il se trouvait mal aussitôt qu’il était dans cette posture. Les autres s’agenouillèrent à l’imitation du Duc de Chartres.

On vit apparaître alors à l’autre bout de la salle, ajouta Lauzun, sans aucun bruit et de la manière la plus inexplicable, une figure d’homme absolument nu. Il était de grandeur un peu plus que naturelle, ayant le teint d’un beau pâle et les yeux merveilleusement noirs ; cheveux bouclés, belle poitrine, avec des membres parfaitement bien proportionnés, les hanches et l’abdomen admirablement juvéniles ; une belle barbe frisée, fine et touffue, et du reste nullum cujusvis sexus indicium, ce qui, par-dessus toute chose, avait préoccupé le Duc de Lauzun.