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Page:Créquy - Souvenirs, tome 5.djvu/111

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SOUVENIRS DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

qu’il avait pour cette ennuyeuse, et ce qu’il y a de curieux, c’est qu’il ne la connaissait pas autrement que par l’impatience qu’il en avait prise en la regardant s’écouter parler ; car il n’aurait eu garde de s’approcher d’elle, et il s’enfuyait à toutes jambes aussitôt qu’elle arrivait dans un salon. Enfin c’était une exagération d’horreur et d’aversion tout-à-fait inconcevable de la part de ce pauvre Lauzun, qui était la bienveillance et l’indulgence même, excepté pour les Necker. On dirait aujourd’hui que c’était par un pressentiment du sort qui l’attendait pendant la révolution que cette malencontreuse famille allait organiser dans notre pays.

Nous ne nous sommes jamais rien dit, Mme Necker et moi, si ce n’est un jour à l’Académie française. J’étais à la poursuite d’une place qui m’était gardée par la Duchesse de Narbonne auprès de Mesdames de France, et je passais devant Mme Necker à qui je ne songeais pas, lorsqu’elle me dit avec un air de condescendance et de protection : — Madame, vous êtes la maîtresse de prendre cette place que j’avais gardée pour l’Ambassadrice de Suède qui vient de me faire dire qu’elle ne pourrait venir. — Puisque j’en suis la maîtresse, et que vous voulez bien m’en laisser la liberté, madame, lui répondis-je avec un air de simplicité modeste, j’irai m’asseoir à côté de Mesdames, tantes du Roi.

Chamfort disait qu’il se disputait continuellement avec elle, et qu’il en était toujours tancé pour la familiarité de son langage. — Enterré ! s’écriait Mme Necker… Pour peu qu’on ait pris l’heureuse habitude de vivre à Genève, il est difficile de s’accli-