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SOUVENIRS

rance, et pour se délivrer de ses persécutions forcenées, la vertueuse épouse de M. Necker se détermina à donner une audience à cet amant téméraire !… Mais pour la décence et pour la sécurité de M. Necker, pour le bon exemple et pour l’édification de leurs intimes, il fut décidé qu’un appelé M. Bonstetten et le jeune M. Thélusson assisteraient invisiblement à la conférence, étant placés dans une embrasure de fenêtre et cachés sous un rideau. Mme Necker avait mis sa plus belle robe rouge et s’était fait crêper les cheveux tant qu’elle avait pu ; elle avait fait provision de préceptes moraux et d’argumens irrésistibles ; elle avait fait des versions d’éloquence admirable avec des préparatifs de délicatesse exquise et de moralité superbe ! Enfin la porte s’ouvre, et M. le Baron de Peyrusse est annoncé[1].

C’était un petit bonhomme de soixante-cinq à soixante-dix, qui avait l’œil égaré, et dont le regard allait parfaitement d’accord avec la cervelle. — Madame, lui dit-il avec la précipitation d’un aliéné qu’il était, j’ai une déclaration à vous faire et j’ai voulu vous prévenir d’une chose que vous ne savez pas et dont il me paraît nécessaire que vous soyez … J’ai vu pendant ma vie qui a déjà été assez longue, car je ne suis plus un enfant ; je suis entré au service avec M. de Rasilly, qui jouait si bien au piquet Vous avez certainement ouï

  1. Louis-Marie de Peyrusse des Princes de Carency, Baron de Francastre et de Mirande. Il était de la même familie que MM. d’Escars qui l’avaient fait interdire.
    (Note de l’Auteur.)