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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

parce qu’il avait perdu sa femme et tous ses enfans. — Ah ! la douceur et la force des liens du sang s’écria l’Abbé. — Mais, Monseigneur en parle bien à son aise, interrompit le Marquis de Boisgeslin, et s’il était dans la même position que ce malheureux Anglais… — Mais comment peut-il être si malheureux, avec une si grande fortune, interrompit le d’Espagnac ? — Mon Dieu, Monsieur, lui répondit l’autre avec un air de reproche et de surprise, comment pouvez-vous parler de la sorte, après tout ce que vous avez écrit sur la force du sang ! — Mais enfin… — Laissez donc ! — Mais encore… — Allons donc, vous dis-je ; allons donc, Monsieur l’Abbé ; comment pouvez-vous être étonné qu’on ait du chagrin quand on a… — Mais de quelle espèce, et qu’est-ce qu’il a donc ? — Il a, morbleu ! il a que tous ses liens du sang ont été rompus ! qu’il est resté le dernier de toute sa famille, qu’il n’a conservé aucun parent de son nom, et que les fils de sa sœur unique, qui devraient être ses héritiers, sont deux scélérats !… que voulez-vous qu’il fasse de son immense fortune ? Est-ce que vous voulez qu’il s’amuse à bâtir des églises ?

L’Abbé s’éloigna sans dire une parole, en se retournant du côté du vieux richard, et s’en approchant par une suite de circonvolutions prudentes, avec un air affriandé comme un gros reptile ; mais l’Anglais, qui était absorbé dans son profond chagrin, ne lui donna pas signe de vie, et l’on aurait dit une cruche de terre au coin du feu ; il avait une inconcevable figure, à ce que nous dit Lauzun.

Pendant que l’Abbé procédait en silence à son