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SOUVENIRS

opération de magnétisme ou d’incantation, un des compagnons se mit à crier : — M. d’Espagnac, Monseigneur voudrait vous parler, M. d’Espagnac !… M. d’Espagnac ! et le vieux milord avait bondi sur son siège aussitôt qu’il avait entendu proférer ce nom-là. L’Abbé fut obligé de s’éloigner du Duc d’Hamilton, bien à contre-cœur, et l’on s’arrangea de manière à l’empêcher de retourner auprès de la cheminée jusqu’au moment du souper.

On avait placé M. d’Espagnac en face du seigneur écossais qui ne mangea point et qui ne cessa d’attacher sur lui deux gros yeux fixes, persévérans et profondément scrutateurs. Il en résulta d’abord de la surprise, et puis de l’embarras, de la contrainte et de la gêne avec un profond silence, en dépit des efforts que M. de Tymbrune avait l’air de faire pour égayer ses convives et pour alimenter la conversation.

— Le Duc d’Orléans buvait et mangeait sans parler, en regardant toute la compagnie d’un œil offensé, de ses yeux qu’il avait obliques, éteints et lâchement courroucés ; car le regard de ce d’Orléans était une horrible chose[1] ! — Il est impossible d’y tenir, murmura-t-il au bout d’une heure, et je n’entends rien à ce diable de souper que nous faisons…

Le Duc d’Hamilton se mit alors à tousser pour se dégourdir les organes de la parole ; ensuite il se mit

  1. C’était Louis-Philippe Égalité, Ier du nom ; tout le monde a pu remarquer que le regard de M. son fils est le miroir de sa belle âme et de la franchise de son caractère.
    (Note de l’Auteur, 1797.)