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SOUVENIRS

ne soit digne et noble, intelligent ou spirituel : c’est tout ce qu’on peut demander à la figure d’un homme, et même c’est tout ce qu’on peut exiger de la figure humaine.

M. de Craon me disait une fois : — Mais Boufflers a la physionomie d’un honnête homme et d’un bon vivant ; qu’est-ce qu’il a donc à parler toujours de la figure de mon neveu, cet abbé périgourdin qui a l’air d’un remords injecté ?

Il faut que je vous rapporte un autre épisode de la vie de M. de Talleyrand, qui est beaucoup plus extraordinaire, et qui n’est pas moins difficile à bien expliquer philosophiquement.

C’était dans les premiers jours d’août 1790, et M. de Talleyrand se trouvait dans sa ville épiscopale, ce qui n’était guère son habitude. On entendit une rumeur épouvantable sur la place de l’Évêché ; on vint dire au prélat d’Autun que la populace assiégeait la porte de son palais, et M. de Talleyrand commença par aller s’enfermer et se barricader dans une soupente avec M. l’abbé Goutte, son secrétaire[1]. Il avait grand’peine à s’expliquer un mouvement populaire et d’hostilité contre un évêque aussi constitutionnel que lui, et comme il était resté sans Grands-Vicaires et sans conseil épiscopal, il aurait été bien empêché de trouver un autre parlementaire ecclésiastique que M. Goutte, qui ne voulait

  1. Le citoyen Jean-Louis Goutte fut institué par l’assemblée constituante et fut sacré Évêque constitutionnel de Saône-et-Loire, par M. de Talleyrand, le 3 avril 1791, afin de le remplacer sur le siége d’Autun.
    (Note de l’Éditeur.)