Page:Créquy - Souvenirs, tome 5.djvu/204

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
200
SOUVENIRS

j’aurai souvent à parler de vous tristement et les larmes aux yeux, Princesse inconsolable ! digne et vertueuse fille de M. de Penthièvre, vous que j’appelais quelquefois ma fille et qui m’appeliez toujours ma mère, avec une voix si douce et si confiante, avec cet accent d’affection pour moi que vous tenez de votre père, et que vous avez, tout comme lui, si touchant, si naturel et si vrai !

M. de Tessé protégeait beaucoup le peintre Greuze, et me l’avait envoyé pour me montrer de ses tableaux[1]. Ceux qu’il apporta chez moi consistaient dans une scène champêtre qui lui fut achetée cinq cents louis par M. de Penthièvre, et dans plusieurs portraits, de fantaisie, supposai-je, au nombre desquels il y avait une tête de jeune fille que je trouvai d’une beauté si noblement et si religieusement naïve, que j’en voulus faire acquisition pour la mettre dans mon oratoire, en guise d’image ascétique ; mais — c’était un portrait… il n’appartenait pas au peintre… et Greuze avait l’air contrarié de ce que cette peinture attirait à ce point-là mon attention. Il y avait quelque chose de mystérieux dans l’embarras de ses réponses, — il ne savait pas trop… — il ne pouvait pas dire… et l’idée que je ne reverrais jamais cette charmante

  1. Jean-Baptiste Greuze, né en 1726, mort en 1805. Greuze a dû principalement sa célébrité à son intelligence du naturel et son amour du vrai. Il est à remarquer que le caractère de ses conceptions marque toujours une intention morale. On ne connaît de lui aucune composition licencieuse, et l’on peut dire de tous ses tableaux qu’ils réveillent la sensibilité en inspirant l’amour de la vertu.
    (Note de l’Éditeur.)