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SOUVENIRS

mais ne le punissez pas ; je vous le défends, mon cher Abbé.

« Il me semble que j’avais alors de douze à treize ans ; mais ces paroles de mon père, prononcées avec cette voix du cœur que vous lui connaissez, firent beaucoup d’impression sur le mien. Mes évasions devinrent moins fréquentes ; je craignais d’inquiéter mon père et d’abuser de son extrême bonté pour moi ; je n’obéissais pas toujours à cette bonne disposition, mais lorsque j’avais cédé à mon premier mouvement d’indépendance et d’impétuosité, j’en éprouvais du regret, du trouble, et j’en restais malheureux, ce qui ne m’arrivait pas autrefois, et c’était une sorte d’amélioration.

« En m’en revenant, par un beau soir d’été, d’une de ces excursions, je m’étais arrêté sur les rochers de la Thymerale, auprès de notre château d’Annet. C’était, je crois bien, pour regarder le coucher du soleil, mais je vis passez à côté de moi une charmante petite fille, qui conduisait une chèvre, et comme la pauvre enfant n’avait pas la force de faire obéir cette bête rétive et quinteuse, et qu’elle ne voulait pas lâcher la corde qui l’attachait, elle fut entraînée parmi des quartiers de roche où je la vis tomber… Je m’étais élancé près d’elle, et je vis qu’elle avait une blessure au front… J’essuyais son joli visage avec mon mouchoir, et c’était ses larmes qui servaient de vulnéraire. Elle me souriait tout en pleurant ; je n’oublierai jamais son adorable sourire, et je crois encore l’entendre dire avec une voix argentine, avec un accent de bonheur et de