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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

bûcher par arrêt du parlement de Bretagne, et qui n’en était pas moins le meilleur homme du monde, ainsi que vous allez voir.

La seigneurie dominante et la haute-justice de Fontenay m’appartenaient à cause de mon marquisat d’Ambrières, que je n’ai rétrocédé à mon neveu de Tessé qu’en l’année 1775. J’avais deux grosses métairies dans cette paroisse ; le fermier de l’une était un filleul du Maréchal de Tessé, qui s’appelait René Picard, et l’autre avait nom Jean Boucherie ; tâchez de ne pas oublier ces deux noms-là. Les deux fermiers se rencontrent dans la forêt d’Ambrières et commencent par cheminer en parlant de leurs affaires ; ensuite ils se prennent de querelle, ils s’échauffent ; la colère s’en mêle : ils se gourment, et Picard reçoit dans la poitrine un coup de poing fermé qui l’étend par terre, et dont il meurt au bout de sept à huit minutes en vomissant des flots de sang. Boucherie s’enfuit ; mais la réflexion lui suggère de revenir sur ses pas et de cacher le cadavre dans un fourré très épais, afin qu’il ne reste aucune trace de cet homicide. Il retourne ensuite à sa ferme ; mais il n’y saurait tenir et va se confesser à son curé, qui lui impose l’obligation de réciter chaque jour, et jusqu’à la fin de sa vie, les sept psaumes de la pénitence à l’intention d’obtenir le repos de l’âme de sa victime ; et le curé lui dit aussi de ne pas s’absenter de la paroisse, et d’y faire bonne contenance afin de n’éveiller aucun soupçon.

Cependant le curé de Fontenay devait aller souper, ce même jour, à la Mancellerie, chez les Picard ; et quand on vit qu’il n’arrivait pas, on l’en-