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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

le feu de joie ne réussit pas autrement bien que le reste. Au lieu de se communiquer aux pièces d’artifice, il embrasa la charpente, et ce fut un incendie formidable. On s’empressa d’envoyer chercher les capucins et les pompiers avec leurs pompes, qui ne pouvaient arriver que par la rue Royale ; ainsi vous pouvez imaginer l’engorgement et le surcroît d’embarras qui s’ensuivit.

Les ordonnateurs de celle fête auraient dû prévoir que le peuple qui viendrait par le boulevard ne manquerait pas de se diriger du côté de la place où l’on devait tirer le feu d’artifice, et que la foule qui se trouverait sur la place ne manquerait pas de vouloir se porter, aussitôt que le feu serait terminé, du côté du boulevard où se tenait la foire de M. Bignon. Ces deux colonnes opposées devaient inévitablement se rencontrer et s’entrechoquer, dans ce défilé, sur le versant d’une excavation profonde et sur un terrain couvert de gravois, de moellons, de solives et autres matériaux de forte construction. Jugez ce qu’il en advint lorsque les trains des pompes et les cavaliers du guet eurent entrepris de fendre la presse ! Ce furent des femmes et de malheureux enfans qu’on écrasait dans la foule, et qu’on renversa dans ce grand fossé de la rue ; c’étaient des vieillards abattus et foulés aux pieds des chevaux, des gens qui se débattaient contre les filous et qui tiraient l’épée contre des voleurs ; enfin c’étaient des soldats aux gardes qui faisaient faire place à leurs officiers, ou bien à leurs maîtresses, à grands coups de sabre. On n’a jamais poussé des burlemens plus atroces, et c’étaient des cris d’angoisse à fendre le cœur !