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SOUVENIRS

Mon carrosse était parvenu jusqu’à la porte du Garde-Meuble par la rue Saint-Florentin, où la belle maison de la Duchesse de l’Infantado se trouvait en construction, ce qui faisait que cette voie n’était pas trop praticable ; et, comme il était attelé de six chevaux, je n’y voulus pas monter de peur d’augmenter les embarras du moment. J’ordonnai qu’on en dételât quatre, et voilà mes gens qui se mirent à me faire je ne sais combien de ramages à propos des harnais : — Et si les chevaux restent dételés, on les battra, Madame, et le monde est assez méchant pour les blesser ou les voler… — Qu’on les enlève ou qu’on les estropie, j’aime cent fois mieux les perdre que d’écraser personne ou d’inquiéter qui que ce soit… Sur cette entrefaite, un flot du peuple me sépara de mes gens, et me souleva et si bel et si bien que je me trouvai transportée sur le bord du fossé du château, comme la sainte maison de Lorette, et sans avoir mis pied à terre. Ici j’étais en grand danger d’être écrasée contre la balustrade ; mais j’avisai par bonheur un petit escalier de planches, au moyen duquel je descendis prudemment, lestement et résolûment au fond de ce fossé. J’allai m’abriter sous une tonnelle de vigne, où je rendis grâce à Dieu de ma présence d’esprit, c’est-à-dire de sa protection signalée. Je m’assis sur un petit banc, je récitai mon rosaire, et j’attendis le point du jour avec assez de tranquillité d’esprit. Passé trois heures du matin, je n’avais plus entendu d’autre bruit sur la place que celui des patrouilles du guet ou des gardes-françaises, et j’avais eu quelque velléité de remonter jusqu’au niveau de la balustrade afin