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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

littérature. Ce fut d’abord le fameux Rouelle et l’académicien Mairan, ensuite le président Hénault, le docteur Sénac et le poète Moncrif ; enfin le philosophe d’Argens, Crébillon fils, Gentil-Bernard et le nouvelliste Bachaumont. Procédons par ordre.

Ce que je vous dirai sur le célèbre M. Rouelle ; c’est qu’il était le chimiste du Jardin du Roi, et qu’il revendiquait toujours toutes les découvertes qui se faisaient de son temps. Il accusait tout le monde, et surtout les physiciens allemands, de lui voler toutes ses idées, et l’épithète de plagiaire était pour lui le synonyme du mot scélérat. Pour exprimer l’horreur qu’il éprouva pour le crime de Damien, il avait dit que c’était un plagiaire ; et, comme il était grand patriote, il ne manqua pas d’appliquer la même épithète au Maréchal de Soubise après la bataille de Rosbach.

— Mais, lui disait M. de Buffon, ce n’est pas un plagiat que de s’être laissé battre par des Prussiens ; c’est, au contraire, une invention toute nouvelle de M. de Soubise.

— Allons donc, Monsieur ! ne le défendez pas ! s’écriait le chimiste ; c’est un animal infime, un double cochon borgne, un mulet cornu ! Je suis sûr qu’il a quelque chose de vicié dans la conformation… Enfin c’est un être obtus ; il est indigne de porter le nom de Français ! je vous dis que c’est un ignare, un criminel, un plagiaire !

Si grave et si consciencieux que fût perpétuellement le Comte de Buffon, il avait pourtant fait à M. Rouelle une fameuse espièglerie ; mais c’était pour la première et la dernière fois de sa vie sans