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SOUVENIRS

Je vous ai déjà dit du Sieur de Moncrif (on prononçait Moncri), qu’il était Lecteur de la Reine et qu’il était puriste. Il ne faudra pas en inférer que ce fût un pédant, car il était l’homme de France et l’académicien le moins prétentieux, le plus simple et le plus naturellement agréable. Il me semble que ses poésies fugitives, et surtout ses romances, ne laissent rien à désirer pour la perfection du style et la délicatesse de sentiment. Il avait fait un Essai sur les moyens de plaire qui n’avait pas trouvé celui de nous charmer à l’égal de ses poésies. Il écrivait mal en prose, et voilà ce que je ne saurais m’expliquer de la part d’un bon versificateur. Qu’un prosateur habile ne puisse pas bien écrire en vers, on conçoit cela ; mais un bon poète qui ne sait pas faire de la bonne prose, c’est-à-dire un superlatif sans comparatif et sans positif, je vous avoue que c’est une chose incompréhensible à mon sens naturel, à mon instinct mathématique et ma raison grammaticale.

Moncrif avait écrit une Histoire des chats dont Voltaire et tous ses amis ne manquaient jamais l’occasion de se moquer ; mais c’était de parti pris et sans nulle raison, car c’est un recueil de plaisanteries tout-à-fait divertissantes. Voltaire agissait toujours comme un enragé contre les écrivains qui ne l’adulaient pas, et surtout contre les gens de lettres à qui les Communs de Versailles étaient ouverts. Sa préoccupation continuelle était celle d’aller à la cour, et le plus beau jour de sa vie fut sans contredit celui où il reçut de Mme de Pompadour un brevet de gentilhomme ordinaire, honoraire et surnuméraire de la chambre du Roi. Il en pleurait, il