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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

— Je pense qu’elle en a menti pour jeudi dernier, interrompit M. de Crône, attendu que M. de Montrif est bien certainement en Normandie depuis plus de deux mois. Il est à Médavy, chez Mme Thiroux, ma grand’mère ; et j’ai reçu de lui, précisément jeudi matin, une lettre dans laquelle il me prie de faire renouveler son abonnement à l’Année littéraire.

— Vous dites à l’Année littéraire ? Ah ! c’est un lecturier de l’Abbé Desfontaines et de cet exécrable Fréron ! Voilà ce que je ne savais pas. Je ne m’étonne plus de son hypocrisie, de son infâme conduite !…

— Calmez-vous donc, M. de Voltaire, apaisez-vous donc, s’il vous plaît, lui dit le Baron d’Hunolstein qui était un vieux pince-sans-rire. La demoiselle Vigu dont vous parlez vient de mourir en couches, et je puis vous assurer qu’elle a été enterrée mardi dernier, c’est-à-dire la surveille du jour où elle aurait vu Moncrif à l’Opéra. J’en suis certain, et je puis ajouter que je n’en suis pas fâché ; car elle était la maîtresse de mon fils, qui lui donnait beaucoup trop d’argent. Je crains que vous n’ayez été la dupe de quelque mystification…

Ce qu’on découvrit de plus amusant dans tout ceci, c’est qu’il ne s’y trouvait un mot de vérité ni de part ni d’autre. Voltaire avait fait un indigne mensonge ; et quand on voulut éclaircir la chose, il se trouva que ces deux Messieurs, de Crône et consort, avaient (sans s’être concertés ni s’être entendus le moins du monde) fabriqué chacun leur histoire, à dessein de se moquer de Voltaire et de