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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

pour ledit M. Sage, une place de vingt mille livres de rente à l’hôtel des Monnaies.

Le système de résurrection, découvert par M. Sage, avait été remplacé par le système de M. Dufour, Chirurgien-major à l’École militaire, et celui-ci pouvait dispenser de la résurrection, comme vous allez voir. Aussitôt qu’on était malade, il fallait se frotter la peau des jambes avec des orties, et puis se coucher sur un lit, et s’enivrer avec de la liqueur d’absinthe de la Martinique (et de chez Mme Amphoux, s’il se pouvait ?) On s’endormait infailliblement, et l’on se réveillait parfaitement guéri, disait le frater. La Faculté de Paris ne voulait pas approuver ces deux prescription thérapeutiques ; mais on n’a pas vu que le Major Dufour en ait été renvoyé de l’École militaire, où l’on devait craindre, pourtant, qu’il ne fît frotter les pensionnaires du Roi avec des orties, et qu’il ne fît boire de la liqueur des îles à de petits garçons. Un fils du Baron d’Arconcey, que M. Dufour avait enivré d’absinthe, en fut si bien endormi qu’il ne s’en réveilla pas. On répondit à ses parents que l’exception prouvait la règle, et l’on donna la croix de Saint-Michel à M. Dufour, à la sollicitation de M. Necker et de M. de Monthion.

Remarquez bien que la France présentait alors un véritable phénomène social, en ce que la situation matérielle et politique du royaume était calme et prospère, et que tous les esprits s’y trouvaient en agitation. L’habitude du bonheur et de la sécurité, la douceur et l’indulgence du gouvernement, le peu d’intérêt qu’on prenait aux affaires extérieures, et