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SOUVENIRS

avait trouvé de plus remarquable et de plus répréhensible dans la Passion de Notre Seigneur, dans le Saint-Évangile suivant Saint-Mathieu, ce grand drame et cette admirable scène où Dieu nous aima jusqu’à la fin.

Je me souviens aussi que Mme de Genlis (elle avait parfois des imaginations ridicules) avait fait apprendre à saigner à tous ses élèves, ainsi qu’à ses deux filles, et voilà qu’un jour, en se promenant dans les environs de St-Leu, M. le Duc de Chartres s’avisa de tirer sa lancette et d’en instrumenter sur deux gobelottiers qu’il croyait en apoplexie et qui n’étaient qu’ivres-morts. Un de ces malheureux en mourut le lendemain, et l’autre en fut bien malade. M. de Penthièvre observait avec raison que rien n’est aussi dangereux que cette sorte de talent, quand on n’est pas dans le cas d’en apprécier la nécessité.

Mme de Genlis avait prescrit au Duc de Chartres de s’appliquer à faire des vers français. (Il n’était jamais question de vers latins dans le prytanée de Bellechasse.) — Cela n’est pas si malaisé, disait-il avec un air de confiance et de satisfaction qui désespérait sa gouvernante ; cela n’est pas si malaisé, tout d’même, et le voilà qui redescend de sa chambre avec la copie d’une pièce de vers qu’il venait d’envoyer… — Envoyez à qui ? s’écria-t-elle. — À mon grand-père de Penthièvre, en remercîment du mouton dont il m’a fait cadeau, et le voilà qui se rengorge, tout d’même !… — Voyons donc ces vers de votre composition, reprit-elle avec la frayeur dans l’âme… — Ah ! mort de ma vie !