Page:Créquy - Souvenirs, tome 6.djvu/7

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coiffé de nuit, parce qu’il était mourant et qu’il allait se recoucher, disait-il à tout le monde, mais ceci n’en dura pas moins jusqu’à dix heures et demie du soir. Mmes Denys et de Villette étaient établies dans une première pièce dont on usait comme d’une salle d’attente, tandis que MM. d’Argental et de Villette allaient à tour de rôle annoncer les visiteurs, avec un air d’importance et de solennité risible. Il nous fut dit qu’aucune personne de bonne compagnie n’avait osé s’y présenter ce jour-là. Mme de Villette faisait la bonne, et la grosse Mme Denys faisait la belle avec une persistance admirable.

Le jour suivant, grand nombre de personnes envoyèrent demander des nouvelles de M. de Voltaire, attendu qu’il s’était évanoui en apprenant inopinément la mort de M. Lekain. Il avait mis un crêpe autour de son bonnet de nuit, en guise de serre-tête. Il en resta deux ou trois jours inaccessible, et tout-à-fait inconsolable, à ce que disaient ses amis ; enfin il reçut une députation des acteurs de la Comédie Française, qui venaient pour le complimenter et pour se lamenter, mais qui le trouvèrent gai comme un pinson. Il se mit à leur parler politique, et à leur lire une lettre du roi de Prusse, qu’il avait reçue nouvellement. — Remarquez bien, Mesdames et Messieurs, leur disait-il, que S. M. pose en principe qu’il ne faut jamais s’emparer du bien d’autrui, et je vous dirai pourtant que ce héros cherche à s’approprier une partie de la succession de feu M. l’Électeur de Bavière ; ainsi va le monde ; et pour ce qui regarde M. le Comte de Falkenstein, autrement dit l’Empereur Joseph second, je ne