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SOUVENIRS DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

plus essentiel : ne vous y trompez point ; mais c’est qu’elle a toujours été follement déraisonnable par esprit de système, et qu’elle est devenue sceptique sur toute espèce de choses, exceptée l’infaillibilité de son jugement. Pendant tous ses débats avec la Duchesse de l’Infantado, relativement à Mlle de Tott (ce qui serait ennuyeux à vous raconter)[1], je lui disais toujours qu’elle avait eu nécessairement, dans tout cela, des torts dont elle ne parlait pas, et que j’aimais mieux croire à l’infaillibilité de la Sainte Église Romaine qu’à la sienne. Elle a de la pénétration, du trait, de la finesse d’esprit, mais c’est dans une agitation sans mesure et sans grâce. Sa conversation va toujours en sautillant et bondissant par soubresauts d’impatience ou d’irritation ; et j’avais pris la liberté de faire observer que sa disposition d’esprit était une fièvre nerveuse ; elle se trémousse et démène incessamment avec une vivacité d’écureuil, et votre père disait aussi que son agitation ressemblait à celle que produisent les puces.

Je pense que son défaut de jugement tient principalement à son manque de religion, ce qui toujours est une grande infirmité pour l’intelligence humaine, attendu qu’une personne d’esprit se trouve alors embarrassée dans un chaos d’idées qu’elle ne saurait éclaircir ni s’expliquer raisonnablement. Aveuglé qu’on est sur les motifs qui peuvent diriger

  1. Voyez les Mémoires de M. de Pougens, qui ont paru peu de temps après la première publication des Souvenirs de Mme de Créquy.