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PIÈCES JUSTIFICATIVES.

vieillesse et mes infirmités en servant glorieusement en ma place sous les drapeaux de la république ; ou si, pour m’affliger encore plus sensiblement, vous ne seriez point tombés entre les mains de nos féroces ennemis les Prussiens, les Autrichiens et les Anglois ; ou si vous ne seriez point restés quelque part blessés par leur fer meurtrier ; ou si enfin vous ne seriez point détenus comme moi, prisonniers quelque part.

« Quel que puisse être ou quel que puisse devenir votre sort et le mien, j’en bénirai toujours la divine Providence, et je souhaite seulement que la présente vous trouve tous deux en bonne santé, et vainqueurs des ennemis de la république, ou morts glorieusement en combattant pour elle.

« Les lieux ténébreux et affreux d’où je date la présente, et les imprimés que je vous envoie, suffiront pour vous faire connoitre que la ligue infernale de mes ennemis et ceux de la république ont employé tant de cabales, de ruses et d’artifices contre moi, qu’ils sont enfin venus à bout de me replonger dans les fers d’où l’Assemblée Nationale constituante m’avoit sorti par son humanité et sa justice, le premier mars 1791, comme toute L’Europe le sait.

« J’ai différé jusqu’à présent à vous donner avis de cette triste et nouvelle disgrâce non méritée ; parce que, dans la crainte de vous trop affliger, et dans l’espérance bien fondée où j’etois d’obtenir, d’un jour à l’autre, ma liberté, vu mon innocence bien connue et bien prouvée, je voulois vous cacher tous les malheurs qui me sont arrivés depuis votre départ de cette capitale ; mais, faisant tout à coup réflexion que ces tristes nouvelles pourraient vous parvenir, ou vous sont peut-être déjà parvenues, soit par la voie de mes ennemis ou par celle des papiers publics sur lesquels ils font débiter mille impostures sur mon compte, et craignant qu’alors votre juste courroux, peut-être trop immodéré, ne vous portât à quelques excès de fureurs et de vengeances, qui pourroient être également préjudiciables aux intérêts de la république comme à votre propre honneur et gloire et à la mienne. Ces tristes réflexions m’ayant fait tout à coup frémir d’horreur et de crainte, j’ai aussitôt sauté au bas de mon lit, ou plutôt de mon grabat, ce jourd’hui, minuit, pour vous écrire ces mots qui, partant du fond du cœur et de l’âme de votre tendre père, bon