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Page:Crevel - Mon corps et moi (3e édition), 1926.djvu/143

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les yeux se voilent. L’homme ne sait plus ce qu’il prend et ne peut plus prendre ce qu’il croyait savoir. Les paupières sont fanées et les narines qui ont la transparence triste du parchemin ne battront plus. Collée aux mâchoires, la peau des joues laisse voir l’ombre des dents. J’ai assez bon caractère pour me résigner à n’être plus que le chef d’orchestre de mes cauchemars. Tous les instruments du doute, instruments de torture et de subtilité musicale, sont bien d’accord. Torture, subtilité musicale ? Ce soir, je souffre de ne pouvoir embrasser la chair rouge de quelque bonne certitude. Ce soir, j’avais un tel besoin d’être sûr. Fini le jeu des suppositions. Pour spéculer sur l’incertain il faut une salle éclairée, chauffée, peuplée. Vive l’hypothèse, son arrière-goût précaire et d’amertume lorsqu’on est deux, lorsqu’on est trois, lorsque chacun croit à la vie de l’autre, des autres et que se peuvent faire des échanges, se créer des courants qui réchauffent les cœurs