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LES FEMMES DE L*ODYSSEE 381

« Cher père, ne voudrais-tu pas me faire préparer le char élevé, aux roues bien construites, afin que j'aille laver au fleuve les toiles fines qui ont été laissées de côté. Il faut que tu aies de beaux vêtements pour tenir ta place au conseil entre les premiers de la cité. Et tes cinq fils qui sont là dans le palais, deux sur le point de se marier, trois encore tous jeunes ; ne veulent-ils pas toujours des vêtements fraîchement blanchis pour aller danser? C'est à moi de songer à tout cela*. »

Cette dissimulation si naturelle est aussi gracieuse que délicate. Mais à cette grâce s'ajoute une fierté hardie qui est le trait distinctif du personnage. Lors- qu'au bord du fleuve, Ulysse, sortant du fourré, apparaît tout à coup, encore couvert de l'écume des flots, les cheveux en désordre, cachant à peine sous un peu de feuillage ses membres nus et robustes, toutes les jeunes filles, saisies d'effroi, s'enfuient. Nausicaa seule reste et attend, pleine de courage et de dignité:

« Toutes tremblantes, les jeunes filles avaient fui en tous sens vers le rivage; seule, la fille d'Alkinoos resta : car Athéné lui avait mis au cœur un courage ferme, et empêchait que la crainte ne la fit fuir. Elle demeura donc, voilant son visage'. »

Athéné la traite ici comme les héros sur le champ de bataille, puisqu'elle ne dédaigne pas de lui ins- pirer une intrépidité extraordinaire. Il y a par suite de la grandeur dans ce rôle si jeune d'ailleurs et si délicat. Il y en a dans l'attitude même de la jeune fille debout, écoutant le suppliant agenouillé devant elle à distance, et bientôt le rassurant par de douces paroles. Mais le poète, toujours fidèle à la vérité, se

��1. Odyssée, VI, 57-65.

2. Odyssée, VI, 138-141.

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