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250 CHAPITRE V. — LA CHANSON

do la demeure royale; sa voix, quoique mélodieuse, put rester grave et même sévère. Anacréon ne fit rien de pareil. Pas un mot, dans sa poésie, ne nous avertit qu'il ait jamais cherché un autre idéal que celui dont les fêtes de Samos lui offraient la matière : sa pensée s'y renferme sans aucune gêne; le vin, le plaisir, les beaux éphèbes lui suffisent. Il ne veut même pas que dans un banquet on lui parle de guerres sanglantes et de choses sérieuses : des vers aimables, « où s'unissent les dons des Muscs et ceux d'Aphrodite * », voilà ce qu'il demande et ce qu'il donne. Le sujet ordinaire de son inspiration, c^est l'amour; un amour tout sensuel, et à la grecque; passionné parfois, mais plus souvent spirituel, léger, qui badine avec grâce et qui se joue.

Je veux chanter le délicat Éros, aux couronnes verdoyantes et fleuries; c*est le maître des dieux, c'est le dompteur des hommes 2.

Voilà le ton et, pour ainsi dire, la théologie d'Anacréon : il asseoit sur le trône de Zeus, à demi sérieux et à demi souriant, le délicat Éros, et en fait le roi du monde. Roi puissant encore et non sans majesté; car TÉros d'Ana- créon est fort au-dessus de ces petits Éros alexandrins qui ne sont plus que des divinités de boudoir; celui-là garde de la force et reste redoutable :

Éros, comme un bûcheron, m'a frappé de sa grande hache et jeté dans l'eau furieuse du torrent '. Les jouets d'Éros sont les délires et les fureurs *.

Il agite l'âme et la désespère :

��1. Fragm. 94.

2. Fragm. 05.

3. Fragm. 47.

4. Fragm. 46.

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