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Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t2.djvu/272

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260 CHAPITRE V. — LA CHANSON

técs et conservées seulement par des manuscrits de basse époque, mieux vaut ne pas trop s'appuyer sur ces rai- sons. Au contraire, l'esprit général de cette poésie et le caractère du style trahissent clairement une origine rela- tivement récente. Le personnage d'Anacréon n'y a rien gardé de la complexité des choses vivantes et vraies. C'est une figure abstraite, un type réduit à quelques traits consacrés : ce vieillard souriant, ami des plaisirs et du vin, n'est plus d'aucun temps ni d'aucun pays; il ne parle plus ni de Samos, ni de Polycrate, ni d'aucun des nom- breux personnages dont les noms remplissent encore les fragments authentiques; ses amours mêmes ont subi cette sorte de simplification que produit Téloignement : Bathylle est seul en scène; c'est le seul nom propre qui ait survécu; lui aussi est devenu un type. Eros n'a pas moins changé : dans les poésies originales, il gardait de la grandeur; ici, ce n'est plus qu'un enfant espiègle et malin, le Cupidon de toutes les mythologies galantes. Il a cessé d'ailleurs d'être une divinité unique; il y a désor- mais des Éros en foule, comme dans ces peintures gréco- romaines où voltigent des nuées d'Amours, pour le plai* sir des yeux et la grâce de la décoration, en dépit de la vieille théologie. — Le stylo aussi est caractéristique; sans entrer à ce sujet dans de longs détails, il suffira d'en relever un trait décisif. La phrase y est toujours moulée sur le vers; elle commence et finit avec lui, ou du moins elle a des repos qui correspondent aux coupures naturelles de la versification. Rien de plus différent, comme on sait, de l'antique usage grec, qui laisse la phrase courir capricieusement et s'enrouler autour de la strophe et du mètre. Ici, nulle liberté, nulle ampleur; cette manière d'écrire ne se rencontre guère, aux âges classiques, que dans les chansons tout à fait populaires; chez Anacrcon, elle est inadmissible.

L'ensembh du recueil, par toutes ces raisons, est donc

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