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PARMÉNIDE 517

une pure joie de Tesprit que Pascal aurait comprise. D'ailleurs l'imagination survit à cet excès d'abstraction : elle colore toutes ces entités ; elle les anime; elle les en- gage dans un drame ; Têtre et le non-étre luttent ensem- ble comme des héros épiques, et le poète philosophe nous fait presque partager à la fm son admiration quasi reli- gieuse pourTun et son mépris pour l'autre. SiParménide a écrit en vers, ce n'est pas seulement parce qu'alors la prose existait à peine, et que la poésie pouvait sembler à un grand esprit de ce temps la forme déflnitive de l'idée. La raison de son choix, qu'il Tait démêlée lui-même clai- rement ou non, est en réalité plus profonde. C'est qu'il veut philosopher avec toute son âme, et que le rythme du vers correspond à l'émotion qui fait battre son cœur ou qui berce son imagination.

M. Villemain, dans son Essai sur Pindare, a signalé avec admiration le début du poème philosophique de Parménide. Le philosophe raconte comment le principe des choses lui a été dévoilé. Les coursiers dociles qui mè- nent sa pensée où il veut, l'ont entraîné sur son char ra- pide jusqu'à la déesse de la vérité. Les Héliades, filles de la lumière, lui montraient la route. « L'essieu ardent tournait dans les moyeux avec le sifflement de la syrinx.» Le char arrive aux portes du Jour et de la Nuit, que garde la Justice. Celle-ci, à la voix persuasive des Héliades, ou- vre les deux vantaux enflammés, et donne passage au poète, qui arrive auprès de la Vérité. La déesse l'accueille avec bienveillance et lui tend la main, puis lui adresse la parole :

Réjouis-toi ; ce n'est pas une destinée funeste qui t'amène par cette route, inconnue aux pas des mortels : c'est la Justice et la Loi. Il faut que tu saches tout, et l'exacte pensée de la Vérité infaillible, et les vaines opinions des hommes où nulle justesse ne réside.

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