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124 CHAPITRE IV. — LA TRAGÉDIE ET SES LOIS

dont la crudité aurait paru intolérable, descend lentement dans les âmes qui n'y résistent plus et s'y répand jus- qu'au fond. C'est une sorte de prise dç possession intime, très délicate et très puissante.

Il importe de remarquer ici que certains effets tragi- ques ont été à peu près exclus par les poètes grecs, et justement quelques-uns de ceux qui chez nous servent le plus aux dénouements. Ce n'était pas Tusagedes héros, chez eux comme chez nous, de se tuer sur la scène. Non qu'ils aient eu peur des spectacles d'épouvante. Eschyle faisait apparaître devant son public les Erinnyes, il offrait aux regards des Athéniens des cadavres que son imagi- nation au moins leur représentait comme tout sanglants. Sophocle ramonait sur la scène son Œdipe, après qu'il s'était volontairement crevé les yeux. Euripide leur mon- trait Agave en déliro, tenant à la main la tête de son fils. Tout cela nous paraît beaucoup plus horrible qu'un coup do poignard. Ce n'était donc pas par une délicatesse plus féminine que virile, ni pour ménager les nerfs de leur public, que les poètes s'abstenaient de représenter des meurtres sur la scène. Leur scrupule à cet égard prove- nait manifestement d'une idée religieuse. La scène était un lieu sacré, presque un temple. Tout s'y passait sous l'œil des Dieux. La pureté divine aurait été souillée par un assassinat ou un suicide, même fictifs. En proscri- vant ce genre de représentation, c'était la divinité que l'on ménageait, et non le public. Mais au fond, cela n'a- vait qu'une petite importance, et le caractère général du spectacle était loin d'en être sensiblement adouci. Quand Oresto, dans les Choéphores d'Eschyle tient sa mère sous le poignard pendant une scène entière, bien qu'il la frappe seulement derrière la coulisse, le spectateur ne perd rien de l'horreur de la situation. L'agonie visible de la victime est plus épouvantable ici que sa mort même.

Une chose fort intéressante, ce serait de savoir dans

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