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Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t3.djvu/180

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et Bion, poètes tragiques eux aussi, dont nous parlerons ailleurs.

L’antiquité semble avoir admis généralement qu’Eschyle ne quitta pas son pays sans des motifs douloureux. Selon les uns, il aurait été offensé par la faveur dont l’opinion publique entourait son jeune rival, Sophocle[1] ; selon d’autres, il se serait vu accuser d’avoir révélé les mystères[2]. Ce dernier fait paraît certain, quelle qu’en ait été d’ailleurs l’occasion ; le premier n’a rien d’invraisemblable. Mais il n’y a aucune raison d’expliquer par l’un ou par l’autre les voyages d’Eschyle[3]. Sa dernière représentation à Athènes, celle de l’Orestie, fut une victoire, et, s’il se vit accusé ensuite, on ne peut douter qu’il n’ait été absous ; car, à coup sûr, sa condamnation n’aurait pas été passée sous silence par ses biographes. En réalité, ce fut sa gloire seule qui l’appela d’abord en Sicile ; les succès qu’il y obtint l’engagèrent à y retourner.

Son caractère nous est révélé par son œuvre plus encore que par sa vie. Nous nous le représentons comme fier et un peu rude[4], attaché avec une certaine raideur hautaine à ses principes de toute nature, préoccupé de son art au point de ne s’intéresser que médiocrement aux choses ordinaires de la vie ; aristocrate de tradition et plus encore de tempérament, mais trop patriote toutefois pour s’enfermer dans le dédain et dans la haine, un homme d’idéal, une âme très haute et quelque peu impérieuse, un grand solitaire au milieu même de la foule. La nature l’avait fait pour être admiré plutôt

  1. Plutarque, Cimon, 8.
  2. Aristote, Morale à Nicom., III, 1. Cf. Elien, Hist. variée, V, 19 et Clément, Strom. II, p. 387. Suidas raconte qu’il dut s’enfuir en Sicile parce que les gradins s’étaient écroulés pendant une représentation qu’il donnait.
  3. Welcker, Æschyleische Trilogie, t. I, p. 516.
  4. Aristoph. Grenouilles, 837 : Ἄνθτρωπον ἀγριοποιὸν, αὐθαδόστομον. Cf. 814 et tout le passage.