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SES IDÉES PHILOSOPHIQUES 185

s'exaltent mutuellement pour la vengeance en invoquant leur père, comment le spectateur n'auraît-ilpas l'impres- sion que ce sombre enthousiasme meurtrier a quelque chose (le divin, qu'il est en partie inspiré et surexcité par une puissance cachée, sûre de ses desseins? Cela est ap- plicable à toutes les pièces d'Eschyle. Pour lui, toute la vie humaine est gouvernée par des desseins supérieurs. Quand Thomme agit, il les ignore le plus souvent; quand Tévénement éclate, il les reconnaît. Derrière tout ce qui se fait sur la scène, il y a donc un dieu, ou la nécessité. Puissance enveloppée d'ombre, que l'acteur bien souvent ne voit pas, quoiqu'il lui obéisse, et que le spectateur entrevoit seulement, sans discerner nettement ni le but où elle tend ni les moyens qu'elle emploie. Par ce côté mystérieux, la psychologie du poète se mêle à sa théo- logie; entre Puno et l'autre, aucune limite distincte; le drame ne peut éclaircir ce que la réalité elle-même laisse profondément obscur.

Ce gouvernement supérieur des choses humaines est subordonné pour le poète à quelques grandes lois.

La plus importante, c'est celle-ci : que toute grandeur humaine excite la jalousie des dieux; vieille opinion, née dans l'homme du sentiment même de sa faiblesse. Tous les sages du vi® siècle l'avaient énoncée; elle est partout dans Pindare, comme elle sera encore partout dans Hé- rodote K Eschyle n'y a rien ajouté d'essentiel, mais il en a fait ressortir avec une force personnelle la beauté dra- matique. Un grand nombre de ses tragédies n'avaient pas d'autre sujet que celui-là; et dans presque toutes il se montrait au moins incidemment. Sous des noms divers et en se servant de légendes variées, c'était bien souvent le même fait qu'il mettait en scène: un homme ou un demi- dieu égaré par l'orgueil, un présomptueux qui veut sai-

1. Ce sujet a été complètement étudié par M. Tournier dans sa thèse sur Némésis ou la Jalousie des dieux, Paris, 1862.

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