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CHAPITRE V. — ESCHYLE

son génie s’est dépensée dans une seule œuvre qui l’a occupé toute sa vie : agrandir la tragédie. Qu’était-ce donc pour lui que cette forme du drame ? Comment l’a-t-il conçue ?

La tragédie pour Eschyle est essentiellement simple. Il ne cherche pas dans la légende un groupe d’événements variés : un seul fait lui suffit, pourvu qu’il soit grand ou terrible, et qu’il mette l’homme en présence de Dieu. Un conflit violent ou une catastrophe retentissante, voilà ce qu’il lui faut. Il a besoin d’un sujet où les hautes idées religieuses que nous venons d’énoncer soient naturellement impliquées. Ce qui est purement humain est trop petit pour lui ; mais, d’autre part, ce qui n’est pas humain est étranger à son art. Celui-ci réclame des souffrances et des passions, et personne ne le sent plus fortement qu’Eschyle. Toute la tragédie pour lui se ramène donc à ceci : un spectacle de pitié ou de passion sur lequel plane une pensée religieuse, une situation qui serre le cœur et qui pourtant élève l’esprit, une méditation qui affranchit l’âme dans une angoisse qui étreint les sens. Moins l’effet est compliqué, plus il est puissant. Loin de surcharger la légende, Eschyle l’allégerait plutôt[1]. Quand il compose, il est sous l’empire d’une impression unique et profonde : c’est celle-là qu’il veut faire passer tout entière dans l’âme des spectateurs. Elle domine sa pièce comme elle le domine lui-même ; elle est l’objet vers lequel convergent toutes les forces du drame comme toutes les facultés du poète.

De quelle façon l’idée conçue par lui s’organisait-elle en tragédie ? Une légende entre toutes, grâce à un hasard d’attention ou à un choix réfléchi, le saisissait à la fois par l’imagination et par la croyance spéculative.

  1. Vie anonyme : Αἵ τε διαθέσεις τῶν δραμάτων οὐ πολλὰς αὐτῷ περιπετείας καὶ πλοκὰς ἔχουσιν ὡς παρὰ τοῖς νεωτέροις.