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Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t3.djvu/217

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nous y rencontrons la douce pitié des Océanides, la tristesse plaintive d’Io, les regrets fraternels d’Antigone et d’Ismène, l’effroi des Danaïdes. On ne peut donc pas dire que le génie du poète ait ignoré aucun des côtés de l’âme humaine ; il l’a vue tout entière et il l’a représentée sous tous ses aspects principaux. Mais le tour naturel de son esprit le rendait bien plus apte à faire ressortir ce qui était grand ou terrible que ce qui était doux ou délicat[1]. Malgré lui, il mettait de la force et de l’élan jusque dans la faiblesse. La plainte, dans la bouche de ses personnages, se tournait d’elle-même en révolte ou en un désespoir amer. De là l’impression générale que ses pièces laissent en nous. Nous oublions ce qu’il a parfois de grâce et d’attendrissement, parce que lui-même ne sait pas s’y arrêter, et nous nous rappelons seulement ce qu’il a de sombre et de violent, parce que c’est là en effet ce qui domine chez lui en tout et partout.

VI

Avant Eschyle, la tragédie était le chant d’un chœur, mêlé çà et là de dialogue. Eschyle, dit Aristote, diminua la part du chœur et fit du dialogue le protagoniste du drame[2]. Cela est certainement vrai, mais il faut le bien comprendre. En fait, il est probable qu’Eschyle, bien loin d’amoindrir absolument l’élément lyrique que lui léguaient ses prédécesseurs, l’agrandit plutôt, à la fois par l’élan propre de sa poésie et par l’étendue des développements[3].

  1. Vie anonyme : Γνῶμαι δὲ ἢ συμπάθειαι ἢ ἄλλο τι τῶν δυναμένων εἰς δάκρυον ἀγαγεῖν οὐ πάνυ (s. e. παρ’ αὐτῷ ἂν εὑρεθεῖεν).
  2. Poétique, c. 4.
  3. Aristoph., Grenouilles, 914 : Ὁ δὲ χορός γ’ ἤρειδεν ὁρμαθοὺς ἂν μελῶν ἐφεξῆς τέτταρας ξυνεχῶς ἄν. — Les χορικά d’Eschyle ont souvent de huit à neuf strophes, quelques-uns en ont jusqu’à treize et seize. Consulter le tableau dressé par R. Westphal, Prolegomena zu Æschylus Tragœdien (Leipzig, 1869), p. 10.