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LE POÈTE LYRIQUE 213

« Je gémis sur l'amertume de ton sort, ô Prométhée, et des larmes, tombant sans cesse de mes yeux attendris, coulent en ruisseaux sur ma joue humide. Avec quelle rigueur Zeus, imposant en maître ses lois, fait sentir aux dieux du vieux monde, l'âpreté vive de son orgueil!

» Partout, au loin, un long gémissement sur cette terre ; partout la plainte des peuples sur ta grandeur d'autrefois, sur ton antique dignité, sur tes honneurs perdus et sur ceux de tes frères. Car tous les hommes qui, près d'ici, vivent sur le sol de la sainte Asie, au lameiitable spectacle de ton sup- plice, souffrent avec toi, bien que mortels.

» Et de même, sur les rivages de Golchos, les vierges qui y font leur demeure, combattantes intrépides; et, dans la Scy- thie, cette foule de peuples, assis aux confins du monde autour des eaux stagnantes du Méotis.

» Puis, en Arabie, toute cette floraison de guerriers, qui, derrière les remparts abrupts de leur ville, habitent non loin du Caucase, armée qui attend le combat dans le frémissement de ses lances acérées.

» Une seule fois jusquûci, j'avais vu déjà un Titan en proie au supplice, dans les liens de fer de la souffrance, le dieu in- comparable par la force de ses membres puissants, Atlas, qui prête à la terre et à la masse du ciel ses épaules pour unique appui.

» Une clameur monte des flots de la mer avec le fracas des vagues qui gémissent. Enveloppés de ténèbres, les abîmes d'Adès mugissent sous la terre; et les sources des fleuves au courant sacré murmurent au loin leur plainte lamentable. »

De semblables énumérations sont fréquentes chez Es- chyle. On les retrouve chez lui jusque dans le dialogue, auquel elles contribuent à donner un tour lyrique. Elles répondent à un besoin de son imagination, qu'on pour- rait appeler le besoin de l'espace et des larges horizons. Si fortes et si grandes qu'y apparaissent les images tour à tour, aucune d'elles ne fait obstacle à la vue qui doit toujours se porter au delà, librement et à Tinfinî. Les dé- tails énergiques, les groupes mêmes disparaissent dans le mouvement général qui nous emporte toujours plus loin. Il faut à Eschyle de l'immensité dans la composition

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