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SA LANGUE 219

entendre cela au sens moderne ou au sens plus naïf de l'antiquité, peu importe; la pensée nous tente, parce qu'elle est à la fois flno et profonde. Il en est ainsi très fréquemment chez Eschyle : il a des conceptions abstrai- tes de penseur qu'il réalise dans des expressions ou des images de poète. Qu'est-ce pour lui que le chant des Erinnyes? Il faut faire violence à notre langue pour le traduire à peu près :

« Délire et vertiga, embrasement du cœur, hymne des Erinnyes, enchaîneur d'âmes, qui chante sans phorminx et qui desséche les hommes. »

Parfois même, la finesse est excessive; l'image devient trop ingénieuse, ce qui est un défaut; le jeu de la pensée prévaut sur la sensation. Quand le poète nous montre, dans un beau passage des Sept, Typhon « dont l'haleine enflammée s'échappe en une sombre vapeur », la beauté descriptive de Texpression grecque ^ nous fait voir ce que le poète lui-même a conçu; mais quand il ajoute que cette vapeur est la « sœur tourbillonnante du feu » (alo- >/)y TTupo; xàdiv), ridée trop ingénieuse détourne l'esprit et afi*aiblit l'impression. Hâtons-nous de dire que cela est rare chez Eschyle. S'il est ingénieux, il s'en faut de beau- coup qu'il ne soit bel esprit. L'imagination puissante et une sorte de naïveté de génie dominent tout et couvrent de leur jeunesse éclatante ces légers abus de la pensée.

Les mots chez Eschyle sont comme les choses qu'ils traduisent, brillants et complexes, sonores et ingénieux. Nul n'aime plus que lui les composés ^; il les crée avec audace et liberté % mais aussi avec un remarquable ins-

1. 'livra Ttuprcvoov 8tà (jt6\lol Xiyvuv (xéXatvav.

2. Aristoph., Grenouilles, 824 : fyifjiaTa yojKpoTraYY). Quatre vers plus haut, çpevoTéxTwv àvrip « un homme à Tesprit constructeur » ; il dresse de vraies charpentes d'idées en effet.

3. Aristoph., Grenouilles, 932 : moqueries sur le ^oOÔoç ÎTcitaXex-

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