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l’inconnu. En fait de philosophie, celle de la vie commune a dû lui suffire. Les vieilles réflexions des poètes sur la destinée humaine formaient pour son usage un fonds de sagesse, que son expérience personnelle enrichissait jour par jour d’observations particulières, mais qu’il n’éprouvait pas le besoin de dépasser. Encore moins se souciait-il d’agiter les questions obscures de l’origine et de la nature vraie des choses. Il y avait en lui une habitude héréditaire de croyance tranquille[1], qui semble l’avoir tenu toujours en dehors des plus vives curiosités contemporaines.

Les années de pleine maturité de Sophocle furent aussi celles du plus large épanouissement du génie athénien. Après avoir assisté dans son enfance à la fin de la seconde guerre médique, il vit, de trente à soixante ans, la puissance successive de Cimon et de Périclès. La vie était alors heureuse et brillante à Athènes, et il dut en jouir plus que personne. De grandes et belles choses se faisaient au loin et dans la ville même. On y disputait à l’assemblée publique sur de graves intérêts ; on bâtissait le Parthénon et les Propylées ; Phidias, Ictinos et Alcamène rivalisaient d’art et de génie. Les spectacles étaient pompeux et tous cependant portaient la marque du bon goût et d’une élégance discrète. Les étrangers affluaient, de la Grèce d’Asie et de la Grèce d’Italie ou de Sicile : Athènes était vraiment le centre et le foyer de la vie hellénique ; toutes les idées nouvelles convergeaient vers la grande cité, pour y prendre quelque chose de son caractère et s’y faire plus ou moins athéniennes.

Au milieu de ce mouvement et parmi tant d’occasions qui s’offraient aux ambitieux, Sophocle ne songea pas à se faire honneur autrement que par son art. « Dans les affaires publiques, nous dit un de ses contemporains, il

  1. Vie : Γέγονε δὲ καὶ θεοφιλὴς ὁ Σοφοκλῆς ὡς οὐκ ἄλλος.