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Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t3.djvu/242

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beauté vivante, il se plaisait, en véritable Athénien, à l’admirer, à lui rendre hommage avec l’élégante liberté de langage qui était dans les mœurs du temps et que nous retrouvons chez Socrate[1]. Probablement même, cédant aux impressions vives de sa nature, il connut parfois de véritables passions. Le vieux Képhalos, dans la République de Platon, rapporte que, arrivé à un âge avancé, le poète se félicitait en souriant de s’être enfin dérobé, comme un esclave fugitif, à la dure servitude de l’amour « maître enragé et sauvage »[2]. Il n’y a aucune raison de mettre en doute l’authenticité de ces paroles. Seulement, en les interprétant, il est bon de tenir compte de cette ironie mondaine que nous venons de signaler. Les collectionneurs d’anecdotes ne l’ont pas compris, et c’est une raison de nous défier d’eux. Il y avait en Sophocle une modération naturelle, qui a dû dominer en somme dans sa vie au dessus des troubles passagers, si violents d’ailleurs qu’ils aient pu être. Malgré cette heureuse disposition, il eut ses peines, et, comme la plupart des hommes, il en fut lui-même l’auteur, en partie du moins. Marié à Nicostrate, il eut d’elle plusieurs fils, parmi lesquels Iophon, poète tragique, lui aussi, que nous retrouverons ailleurs. Plus tard, et même, selon Athénée, lorsqu’il n’était déjà plus jeune, il se lia avec une courtisane de Sicyone, Théoris, qui lui donna un fils, Ariston ; celui-ci, à son tour, devint

    drames satyriques attestent la gaieté dont il était capable. Il y a telle de ses joyeuses plaisanteries qui étonne notre goût moderne, par exemple dans les fragments de son Ἀχαιῶν σύλλογος.

  1. Outre le passage d’Ion, cf. Plutarque, Periclès, 8, et Cic. de Offic. I, 40. Ovide, dans ses Tristes (II, 411), a pu s’autoriser de son drame Ἀχιλλέως ἐρασταί pour excuser la légèreté de quelques-unes de ses œuvres à lui :

    Nec nocet auctori mollem qui fecit Achillem
    Infregisse suis fortia facta modis.

  2. République, I, c. 3. Comparer, malgré la grande différence du ton, la description spirituelle que le poète fait de l’amour (Nauck, fr. 154).