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Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t3.djvu/259

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dramatique de façon à le mettre en lumière. Nous ne pouvons douter qu’il n’y ait eu chez lui à cet égard une idée très définie et parfaitement arrêtée.

Si ce genre d’intérêt est nécessaire aux yeux de Sophocle, il lui paraît aussi suffisant. Les événements n’ont pas de prix à ses yeux par eux-mêmes ; ce qui leur en donne, c’est le rapport qu’ils ont avec les caractères des personnages. Donc, il n’est pas bon qu’ils soient nombreux. Trop de choses survenant en peu de temps ne permettraient pas aux sentiments de se déployer. Le tumulte des faits étourdirait le spectateur et le distrairait de ce qui mérite vraiment son attention. Voilà pourquoi Sophocle, dans le dessin général de ses pièces, s’écarte peu de la simplicité d’Eschyle. Ce n’est pas que l’art des complications dramatiques lui manque : il le devine dès ses débuts, et on le sent grandir d’année en année entre ses mains. Mais tout dans cet art ne lui paraît pas bon ; il entend le diriger, et non lui obéir ; il le subordonne à son idéal et il le contraint à le servir.

Chez lui, comme chez Eschyle, la catastrophe finale se voit en général de loin. La nouveauté de sa manière consiste surtout dans son habileté à entretenir l’attente et à la varier. Les situations ne se prolongent pas dans ses pièces comme dans celles de son prédécesseur ; elles changent de scène en scène, et par conséquent aussi les impressions du spectateur, malgré l’unité frappante du développement dramatique. Ces changements ne viennent guère du dehors ; ils ne résultent pas d’événements fortuits, qui surgissent tout à coup ; ils naissent du dedans, c’est-à-dire de l’âme même des divers personnages, de la rencontre de leurs sentiments, des idées qui se succèdent naturellement en eux. Dans la plus ancienne des tragédies subsistantes de Sophocle, dans Ajax, cela est particulièrement remarquable. Entre le début et la mort du héros, il n’arrive rien à proprement parler. Et