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la psychologie dramatique que l’art de Sophocle se distingue le plus de celui d’Eschyle. Sa tragédie répond à un état moral de la société sensiblement différent. Autour de lui, la méthode d’analyse se forme. L’homme intelligent commence à s’étudier lui-même et à soupçonner la complexité de sa nature. Socrate, interprète d’un besoin général, va faire de l’observation intérieure l’objet de la philosophie. Sophocle, en grand initiateur, le devance, dans la mesure où le drame qu’il a hérité d’Eschyle en est capable.

Il est indispensable, pour le bien apprécier à ce point de vue, de tenir grand compte de la hiérarchie des rôles signalée plus haut. C’est chez lui en effet qu’elle se montre dans toute sa perfection délicate. Comme toutes les lois de l’art, celle-ci sert le génie en certaines choses et le limite en d’autres. Toutes les remarques à faire sur les personnages du théâtre de Sophocle doivent être subordonnées à cette observation.

En raison du principe d’action choisi par lui, tous ses protagonistes ont une ferme volonté : Ajax, Antigone, Électre, Œdipe roi, Philoctète, Œdipe à Colone ; Déjanire même, moins résolue au fond, l’est au moins pour l’acte capital de son rôle. En cela, ils ressemblent à certains protagonistes d’Eschyle, mais ils se distinguent fortement de quelques autres, tels qu’Atossa, Xerxès, Danaos, Oreste dans les Euménides, en qui la souffrance l’emporte sur l’action. Ceux-ci étaient possibles dans une tragédie où les dieux agissaient ouvertement ; ils ne le sont plus depuis qu’il faut au premier plan un personnage humain qui mène le drame.

Comme chez Eschyle encore, cette volonté des protagonistes, chez Sophocle, apparaît toute formée au début de la pièce. Nous ne la voyons pas naître peu à peu, hésiter, se reprendre, se chercher elle-même comme à tâtons. Ajax, Électre, Antigone, Œdipe savent nettement,