désapprouver jamais, diffère pourtant de lui-même de scène en scène. Nous avons vu comment, grâce à l’habile conduite de l’action, la situation morale du protagoniste change incessamment. Il est approuvé, puis contredit ; ici, il s’épanche librement, là il est forcé de se contenir ; plus loin, il s’exalte dans une lutte de paroles, ailleurs il retombe sur lui-même. S’il ne change pas de principes ni de volonté, du moins les choses changent autour de lui, et ses sentiments, dans ce qu’ils ont de relatif, en subissent le contre-coup. Ces fortes natures n’ont aucune raideur. Rien ne leur est plus étranger qu’une vaine constance de théâtre, contraire à la réalité. Elles souffrent quand elles se sacrifient, elles aiment en même temps qu’elles détestent, elles regrettent la vie quand elles la donnent sans hésiter. Comme l’énergie en elles n’est point un simple dehors qu’il faut préserver, elles peuvent se relâcher de leur héroïsme sans le compromettre. Voilà comment Sophocle ne se fait point scrupule de nous représenter Antigone gémissant sur ses espérances de jeunesse qui vont s’éteindre, Ajax saluant avec émotion le soleil qu’il va cesser de voir, Électre même, l’implacable Électre, pleurant de joie et de tendresse dans les bras de son frère retrouvé. La puissance de la volonté est telle chez tous ces personnages qu’ils n’ont pas besoin de surveiller leur attitude pour maintenir leur décision. Celle-ci veille dans ce profond sanctuaire de l’âme, où rien du dehors ne peut entrer ; mais, sûre d’elle-même et de sa fin, elle laisse la nature pleurer à l’aise et s’attendrir sans fausse honte, d’autant plus grande en définitive qu’elle est plus humaine. Eschyle, si admirable lui aussi dans la représentation idéale du vouloir, avait ignoré cet art délicieux de détendre les ressorts de l’âme. Aucune innovation de Sophocle n’a été plus heureuse ni plus féconde que celle-ci.
Par elle, le pathétique a pris vraiment au théâtre une