Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t3.djvu/275

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Chez Eschyle, à vrai dire, s’il y avait des héroïnes, il n’y avait point de femmes. La nature féminine, dans sa délicatesse et ses contradictions, échappait à cet art dithyrambique, qui visait constamment à la grandeur et à la force. Celui de Sophocle au contraire avait beaucoup de ce qu’il fallait pour la représenter avec vérité, en partie du moins, sinon complètement. Chez lui, les rôles de femmes sont vraiment féminins par certains traits. Ils le sont tantôt par la douceur et le dévouement, comme celui d’Antigone dans Œdipe à Colone, tantôt par la tendresse inquiète, comme celui de Tecmesse, tantôt par l’exaltation, comme celui d’Électre, tantôt par la vivacité des mouvements, comme celui de Jocaste. La volonté chez elles, alors même qu’elle se montre inflexible, n’est pourtant pas virile. L’héroïque Antigone, qui meurt pour ensevelir son frère, révèle son sexe par l’élan même de son amour et par le caractère de piété mystique qu’elle donne à son sacrifice. Clytemnestre, si obstinée dans le crime, si hautaine et si dure dans son assurance, a pourtant quelque chose de passionné, d’inquiet, de contraint jusque dans sa justification qui révèle la femme en lutte avec sa nature. Malgré cela, il serait fort exagéré de dire que l’analyse de la nature féminine ait été poussée très loin par Sophocle. Non seulement sa conception idéale de la tragédie l’obligeait à laisser de côté en elle la mobilité des impressions, mais elle lui a fait dédaigner aussi la représentation des deux sentiments où elle se révèle le mieux, l’amour d’une part et la tendresse maternelle de l’autre. Dans les Trachiniennes, il n’a fait qu’effleurer la jalousie en créant le rôle de Déjanire : il n’a pas voulu s’y arrêter. Cela étant, il faut convenir que, s’il y a des rôles vraiment féminins dans son théâtre, l’image dramatique de la femme n’y est pourtant qu’esquissée.

Naturellement tous ces êtres fictifs composent une humanité fort inégale en mérite et en vertu. Non seu-