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le théâtre de Sophocle. Quelques vers du rôle d’Antigone dans Œdipe à Colone (237-253) et de celui d’Héraclès dans les Trachiniennes (1004-1043) ne peuvent être cités que comme des exceptions. Il y a lieu d’en rapprocher la fin du dernier dialogue lyrique entre Philoctète et le chœur (Philoctète, 1170-1217) qui est aussi un chant affranchi de la symétrie antistrophique. Mais il est remarquable, que, même en usant de ces nouveautés, Sophocle garde une sévérité d’allure bien différente des fantaisies parfois capricieuses d’Euripide. La valeur de la pensée ou du sentiment resta toujours pour lui la chose principale ; car rien n’était moins dans sa nature que de chercher à séduire l’oreille ou les yeux sans parler à l’âme.

VI

Grand poète lyrique par conséquent, Sophocle a eu le mérite, qui avait manqué à Eschyle, de ne l’être pas partout. Chez lui apparaît pour la première fois la distinction nette entre la langue du lyrisme et celle du simple dialogue. Celle-ci se dégage de celle-là, sans violence, mais résolument. Elle reste forte et brillante, grave et fière, très au-dessus de la prose[1], et pourtant elle atténue à dessein sa force et sa hardiesse natives afin de paraître plus naturelle. Il est probable que cette transformation intime du langage tragique a dû coûter à Sophocle une longue étude. Il a pu lui arriver au début de n’y réussir qu’à moitié. Quelques anciens ont noté chez lui des disparates brusques et choquantes. Cette impression provenait sans doute pour eux des œuvres aujourd’hui perdues de sa période d’essai[2]. Dans les chefs-d’œuvre subsistants, rien

  1. C’est ce que Quintilien appelle « Gravitas et cothurnus et sonus Sophoclis », X, 1, 68.
  2. Denys d’Halic., Vet. script. cens., 2, 11 : Ὁ μὲν (Sophocle) ποιητικός ἐστιν ἐν τοῖς ὀνόμασι καὶ πολλάκις ἐκ πολλοῦ τοῦ μεγέθους εἰς διάκενον